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Le coronavirus, révélateur des failles du “manger local” à la nantaise
Au palmarès de l’autonomie alimentaire, Nantes est parmi les villes championnes en France grâce au territoire agricole dynamique qui l’entoure. Mais s’il y a une leçon à tirer de cette crise, c’est qu’il reste encore beaucoup, beaucoup, de choses à améliorer avant que les circuits courts ne s’imposent pour remplir l’assiette des Nantais…
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30 avril 2020
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Marché. Image d’illustration / Creative Commons – Pixnio
« Ce qu’il se passe en ce moment met un coup de projecteur sur la manière dont on nourrit les villes ». Pour Géline Girault, la directrice du GAB 44, un réseau de producteurs bio du département de Loire‐Atlantique, l’épidémie de coronavirus et le confinement instauré depuis sept semaines est un révélateur. Celui de l’autonomie alimentaire de Nantes. En temps normal, 6 % des produits alimentaires consommés par les Nantais sont produits dans un rayon de 40 à 50 kilomètres. Cela semble peu, mais c’est déjà beaucoup plus que les 2 % de la moyenne nationale.
Ce joli score, Nantes le doit avant tout à son territoire agricole, particulièrement diversifié. A la différence d’autres métropoles, comme Lyon ou Bordeaux, dont l’arrière-pays n’offre pas de telles richesses, celui de Nantes pourrait même produire 54% de l’alimentation des habitants de la métropole. La ville est en effet entourée de leaders nationaux en production maraîchère, laitière, ou en élevage. Sans même parler des vignerons ! Elle se trouve aussi à proximité immédiate de ports de pêche et bénéficie de savoir‐faire industriels variés hérités, entre autres, de l’histoire portuaire de Nantes (biscuiteries, conserveries…). Mieux : l’agriculture de Loire‐Atlantique est aussi en pointe sur le bio, avec 16% des surfaces converties à ce mode de production (3e rang national). Bref, dit comme ça, et alors que le confinement a mis en exergue les questions d’approvisionnement des métropoles, Nantes pourrait sembler dans une situation plutôt favorable. Sauf que…
Des circuits trop… courts
Sauf que ces 54% restent en grande partie théoriques, « tant la marche à gravir pour reconnecter l’alimentation des ménages aux produits agricoles locaux parait élevée », souligne une étude de l’agence de conseil en développement durable Utopies, publiée en 2017. Or la capacité des villes à nourrir leurs habitants à partir de produits locaux est d’abord « une question de résilience économique », expliquait Arnaud Florentin l’auteur de l’étude dans la revue We Demain. Notamment face aux crises. Nous y sommes.
Voilà pourquoi il est intéressant d’observer comment se sont comportés les « circuits courts » qui contribuent si modestement à nourrir Nantes. Les premiers retours d’expérience, encore sommaires, sont assez rassurants. Dans un premier temps, la fermeture des restaurants, cantines et surtout des marchés a fait l’effet d’un « coup de massue » pour nombre de producteurs locaux, privés d’une bonne part de leurs débouchés habituels, rapporte Sébastien Vignal, conseiller à la Chambre d’Agriculture. Mais très rapidement, « ils se sont réorganisés localement et efficacement » vers de la vente directe en développant des livraisons de paniers, des marchés à la ferme, des points‐relais, de la vente en ligne…
Heureusement, parce qu’ils ont dû faire face à « une déferlante » : « C’est de la folie, témoigne Audrey Lacroix, maraîchère à la ferme du Limeur (La Chapelle‐sur‐Erdre) et co‐présidente du GAB 44 (réseau bio). Le nombre de clients et le panier moyen ont été multipliés par 2,5 ! Et on a les mêmes retours de partout ! » Y compris en ville, où « tous les magasins de produits de producteurs – il y en a peu sur Nantes – ont explosé en termes de vente ». Sans parler des commerces en ligne spécialisés « produits locaux » (et qui livrent à domicile), comme Vite Mon Marché ou Graines d’Ici, qui ont multiplié le nombre de leurs clients par cinq depuis le début du confinement, passant en quelques jours du statut de « micro‐niche » à celui « d’entreprise de la situation », en cumulant les quatre grands critères gagnants de cette crise : commande en ligne, produits bio, origine locale et livraison à domicile. « En temps de crise, le « local » est un facteur de réassurance, analyse Sébastien Vignal (Chambre d’Agriculture). Ça, et le fait que tout le monde doit faire plus à manger. »
Une coordination encore à trouver
Souplesse », adaptabilité, réactivité », résilience… Tout ceci paraît donc plutôt rassurant. Sauf qu’au milieu de toute cette effervescence, plusieurs « trous dans la raquette » ont été mis au jour. A commencer par le manque flagrant de coordination structurée à l’échelle métropolitaine. « Les premiers jours, on a eu plein de coups de fil du cabinet, des groupes d’élus, de différents services, se souvient Céline Girault. On nous a dit que ce serait bien de mettre quelque chose en place, mais quand on demandait “Où et avec quels moyens”, pas de réponse…Tout le monde se marchait un peu sur les pieds, pensant bien faire. »
Pour ne rien arranger, le monde agricole a lui aussi réagi en ordre dispersé. Les divisions du monde classique entre les tenants de l’agriculture institutionnelle et les défenseurs du bio ne disparaissant pas avec la crise, chacun – Chambre d’Agriculture et GAB, notamment – a cherché à prouver qu’il avait la main sur le sujet. Quitte à se marcher sur les pieds, en envoyant deux fois des questionnaires à des producteurs déjà débordés, ou déjà réorganisés sans l’aide de personne. Pas « d’union sacrée » face à la crise donc, sauf, quand même, pour réclamer la réouverture des marchés, finalement obtenue à Nantes depuis le 21 avril, à l’arraché semble‐t‐il .
Le marché de Talensac, à Nantes. / Photo : Creative Commons – Pj44300Pour résumer, si les initiatives existent, elles partent un peu dans tous les sens… Entre les solutions mises en place quasiment du jour au lendemain par les producteurs, les marchands ou les commerçants (le Drive de Talensac, par exemple, qui permet de venir chercher sa commande sur le célèbre marché nantais sans descendre de sa voiture) ; les initiatives type « cartographie de toutes les propositions » (Solidarissime de la Jeune Chambre Economique) ; l’émergence de nouvelles start‐up, comme celle adoubée par la CCI ; et toutes les micro‐solutions mises en place à l’échelle d’un quartier, via des pages Facebook plus ou moins identifiées… Ca bouillonne, mais c’est un peu la cacophonie. Rien de franchement surprenant, d’ailleurs. En 2014, dans une étude consacrée à l’alimentation et aux équilibres et grands enjeux agricoles du territoire, l’AURAN relevait déjà le problème. « Les initiatives locales priment, l’approche globale manque et le niveau d’expertise de la réalité alimentaire du territoire est relativement faible », écrivait alors l’Agence d’urbanisme de l’agglomération nantaise. Six ans plus tard, rien ne semble avoir véritablement changé.
« Pas assez de paysans »
Car si la crise et le confinement ont favorisé la multiplication des initiatives et laissé entrevoir la possibilité d’une « reterritorialisation » de l’approvisionnement alimentaire, ils ont surtout mis en lumière un gros problème : le manque de produits locaux facilement disponibles. « Dans nos réseaux, tous les paysans qui font de la vente circuits courts ont trouvé des solutions pour vendre à côté de chez eux, constate Vincent Raynaud, de Terroir 44. Résultat, pour fournir Nantes, c’est plus compliqué ». Le fait qu’on soit en période creuse de fin d’hiver, côté légumes, n’aide pas non plus. Faire le lien dans l’urgence entre « producteurs en recherche de points de vente » et le Kiosque Paysan, un point de vente prévu aux Ecossolies, en projet depuis deux ans, s’est révélé plus ardu que prévu. Un des acteurs de ce réseau, La Folle Tournée, a même dû arrêter ses livraisons à Nantes. « Ils étaient dans l’incapacité de répondre aux besoins. » Bref, « il n’y a pas assez de paysans », résume Vincent Raynaud, de Terroir 44.
Ou, du moins, ils ne sont pas organisés pour vendre en circuits courts. La Loire‐Atlantique est un territoire agricole très riche. Rien que pour la tomate, 10% seulement de ce qui est produit dans le département suffirait à combler les besoins de la Métropole. Une bénédiction si l’immense majorité de la production n’était pas orientée vers l’industrie agro‐alimentaire (IAA) et l’export… « Fleuron économique de la Métropole nantaise et de sa région, la filière agroalimentaire locale est aujourd’hui partagée entre ses ambitions légitimes à l’international et une réappropriation de la notion de proximité », analysait encore l’AURAN en 2017. Et ça, ça ne se change pas d’un claquement de doigt. « Les producteurs qui, à cause de la crise, ont eu besoin de nouveaux débouchés, sont ceux en filières longues, qui livraient en grosse quantité vers le MIN (le Rungis nantais, déménagé à Rezé l’année dernière) par exemple, évoque Vincent Raynaud. Préparer 150 paniers, nécessite 30h de travail et la mobilisation de cinq personnes. Leurs fermes ne sont pas adaptées à ce reconditionnement ! » Un problème qui, par exemple, freine aussi les producteurs laitiers, dont 10% seulement transforment à la ferme. « Le reste part en laiterie puis on ne sait où », évoque Céline Girault (GAB) ; impossible, pour eux, de proposer tout d’un coup leurs produits laitiers transformés en beurre ou en fromage aux particuliers. « C’est un vieux sujet, le manque d’outil de transformation adapté aux besoins locaux. Il vient de refaire surface. »
Quant à l’idée évoquée par le ministre de l’Economie, de Bruno Lemaire, de rebasculer la production locale vers la grande distribution, même analyse : « D’une part, beaucoup n’ont pas du tout besoin de ce débouché. Et en plus, ce n’est pas simple pour les supermarchés non plus, ces histoires de référencement », souligne Vincent Raynaud. Résultat, « il y a bien eu quelques rapprochements entre des grandes surfaces et des producteurs locaux, via le MIN, évoque‐t‐on à la Chambre d’Agriculture. Mais rien de pérenne, seulement de l’appoint. » Et sous haute surveillance du monde agricole, plutôt échaudé par les pratiques des Carrefour, Leclerc et autres.
Distribution d’un producteur agricole dans le 7e arrondissement de Lyon, le vendredi 3 avril. Photo : NB
Une liste de souhaits pour l’après crise
Pour faire simple, en ces temps de crise, les circuits courts qui alimentent Nantes auraient pu connaître leur heure de gloire. Les besoins étaient là. Mais les limites du système logistique en place ont freiné les ambitions des uns et des autres. Y compris, semble‐t‐il, celle des collectivités. « Cette situation montre la faille, résume Reynald Naulleau, co‐fondateur de Vite Mon Marché, start‐up née à Nantes qui propose de la vente en ligne et livraison à domicile de produits locaux et bio. Ce lien entre production locale et conso locale n’a jamais vraiment été considéré. Et au moment où on en a besoin… »
Le Projet Alimentaire Territorial de Nantes Métropole signé en 2018, propose plusieurs pistes d’actions pour développer ce « chaînon manquant », en utilisant les leviers dont dispose la métropole : l’élargissement du « carré producteurs » du MIN (un nouveau partenariat avec la Chambre d’Agriculture devait ainsi être officialisé le 6 avril), et surtout l’approvisionnement en produits locaux des 15000 repas servis dans les cantines scolaires chaque jour – « Trouver 15000 cuisses de poulet local et même bio conditionnées pour les cantines, et bien ce n’est pas si simple », évoque par exemple le premier adjoint à la maire de Nantes, Pascal Bolo. « C’est beaucoup de mise en relations, ça n’avance pas, soupire Reynal Naulleau. La crise avait peut‐être été imaginée, mais rien n’a jamais été fait, soupire l’entrepreneur. Il y a un manque de volonté. »
Dans leur liste de « souhaits », les professionnels des circuits courts évoquent pêle‐mêle des marchés et magasins de producteurs locaux, mais aussi des légumeries (ateliers collectifs de conditionnement pour des maraîchers locaux) ou des outils de transformation fromagère… « Interfaces entre le monde agricole et les consommateurs, les collectivités comme la métropole ont peu de poids, mais quelques leviers à activer, analyse Romain Siegfried, de l’AURAN. A condition de comprendre le fonctionnement de la filière, y compris les choses qu’on n’a pas envie de voir. » Traduction : promouvoir du poulet local bio dans les cantines, c’est plus facile que de réfléchir à un (hypothétique) projet d’abattoir local, par exemple.
Dans les circuits courts du département, beaucoup se mettent néanmoins à espérer un effet « avant‐après » positif : une prise de conscience générale, suivie de moyens concrets pour enfin améliorer l’autonomie alimentaire de Nantes, et en faire profiter le monde agricole. A la Chambre d’Agriculture, Sébastien Vignal songe aux filières en crise depuis plusieurs années : « Là, on se rend compte que la vente en direct, ce n’est pas une lubie. Peut‐être que ça va être un déclencheur pour certains, des éleveurs qui vont se lancer dans la vente de caissettes de viande… Ce retour au local, c’était déjà dans les tuyaux, ça va sans doute accélérer le processus. » Mais rien n’est pas gagné. « On verra si cet engouement pour le local se confirme, résume Sébastien Vignal. On sait tous que le consommateur est plein de paradoxes… »
Des circuits courts, d’accord. Mais pour qui ?
Dans les quartiers populaires de Nantes, la quête d’alimentation « positive », pour reprendre le nom donné par la Métropole à ce choix de consommation pour des produits locaux, sains et à budget constant, est devenu un parcours du combattant avec la fermeture des cantines et des marchés. « Oui bon, de toute façon la réalité c’est qu’ils vont au Lidl. Ces histoires de circuits courts, ce n’est pas la réalité de ces quartiers », balaie Pascal Bolo. Qui oublie au passage les « Défis Alimentation Positive » en cours depuis plusieurs mois auprès de 115 foyers pour les accompagner vers de nouvelles habitudes de consommation, un des objectifs du Projet alimentaire territorial (PAT). Ou le soutien financier apporté, depuis le confinement, à la distribution de paniers de légumes, œufs et pommes « made in 44 » à 25 foyers de la Boissière, entre autres. Plusieurs démarches spontanées d’achats groupés, rapportées par les observateurs, valident aussi l’objectif du PAT de proposer des commandes collectives de produits locaux dans cinq quartiers prioritaires d’ici 2021. L’étude de l’AURAN qui montre bien que l’intérêt pour un alimentation plus vertueuse touche toutes les strates de la population, au‐délà des différences de moyens. « On observe déjà que les personnes qui sont intégrées dans des circuits courts, et qui avaient déjà modifié quelques habitudes, subissent moins l’impact de la crise », relève Fanny Caron, chargée du « Defi Alimentation Positive » pour le GAB. Une question de résilience, une fois de plus.
Où se fournir en circuit court ?
On l’a vu, le confinement a clairement créé une envie de retour à une consommation plus locale et plus proche. Que ce soit pour l’alimentation ou pour d’autres types de produits. Mais où se fournir ? Durant le mois d’avril, les amies de l’excellent magazine Les autres possibles (MAP), qui s’intéresse notamment aux innovations solidaires et durables en Loire‐Atlantique, a lancé une édition spéciale confinement en accès libre. On y trouve notamment des adresses tirées de leur guide Où acheter durable et solidaire à Nantes ? Vous trouverez ici une sélection de marchés, drives, boutiques, épiceries en vrac, etc.
Toujours sur le site du MAP, vous pourrez également lire une intéressante interview de Soazic Guégen, de la coopérative Cap 44 : « Il faut arrêter les discours et montrer que les exemples existent ».
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